My Lid-In Le Blog

Pensées, images et fonds de tiroirs

L’unicité d’une île

Rivière sur Phu Quoc

Rivière sur Phu Quoc

Nous avons été émerveillés par l’état préservé de l’île de Phu Quoc. En quittant l’enceinte confinée du resort, nous avons mis le cap plein nord à travers les pistes rouges sombres. Bien sûr il faut dépasser le chantier poussiéreux de la large route tracée droit vers le nord. On s’engage rapidement dans Cua Can, village de pêcheurs installé à l’abri de la mer, sur le méandre d’une rivière. Leurs bateaux s’entassent dans les bras de rivière les plus profonds, tandis que les cahuttes sur pilotis sont montées jusque dans les mangroves voisines. Plus loin la rivière rejoint la mer dans une grande étendue d’eau calme, barrée par un banc de sable blanc. Parfois la route se rétrécie au point de n’offrir le passage qu ‘à une moto de front et des ponts branlants sans rambardes sont édifiés au-dessus des canaux. La route s’enfonce ensuite dans la forêt tout en longeant le rivage. On devine parfois le bleu turquoise de la mer à travers la masse de végétation, à 100 mètres, mais il semble impossible de se frayer un passage à travers la forêt tant elle est dense. Des bornes peintes essaient de nous rappeler qu’on est sur un des axes principaux de l’île, mais on y croise à peine une poignée de motos, celles des marchands de vivres, essence et objets qui sillonnent l’île. La forêt qui borde la route  se dresse tel un mur et l’expression « faire un tour en forêt » perd tout son sens.  Quelques plantes nous sont étrangement familières, ce sont celles domestiquées en plantes d’appartement mais les voici en format géant ! Les troncs des arbres, pourtant gigantesques, se discernent à peine dans la masse de feuilles. La multitude de plantes semble organisée pour occuper tout l’espace entre le sol et la cime des arbres. Plus au nord, on découvrira des espaces plus dégagés, offrant accès à la plage. La végétation est plus basse et rabougrie, le sol doit avoir changé de nature, certainement plus salin, tandis que les reliefs se tassent. Une petite pelouse verdoyante, régulièrement broutée par des vaches « pré salées », borde la plage de sable blanc hérissée de déchets en tous genre. Chaussures, emballages polystyrène, sacs plastiques et autres horreurs ramenées par les vagues et amoncelées en haut de la plage, sur une baie aux eaux turquoises.

Plan d'aménagement

Plan d'aménagement

Tous les 500 mètres, sur cette route, des panneaux promouvant les futurs aménagements de la côte se succèdent et nous donnent des frissons. Villas en béton clonées tous les 5 mètres dans une nature ‘refaçonnée’ à la mode terrain de golf. Adieu la diversité végétale et animale et bienvenue à la pelouse chic et parc clos de plusieurs dizaines d’hectares.  Peu de projets ont commencé, seuls quelques piquets de chantiers ont été enfoncés de-ci de-là, mais le gazon et les fleurs d’ornement donnent un avant-goût au pied des panneaux promotionnels.  Ici un bulldozer solitaire a démarré le remblaiement d’une digue sur la mer, forcément on a eu une pensée triste pour les bancs de coraux si fragiles découverts l’autre jour.

Nous avons quitté Phu Quoc sur ces constatations: Une île préservée certes, mais en sursis (retenez une date: 2012, date d’ouverture du nouvel aéroport international). Avec l’envie de ne plus y retourner pour ne pas contribuer à ce mécanisme.

Difficile de se poser en donneurs de leçon en connaissant les dégâts perpétrés (encore aujourd’hui) sur les côtes en Europe. Pourtant, il est désespérant de constater qu’au XXI ème siècle on ne sache pas gérer les ressources naturelles primitives à la hauteur de leur valeur. A l’heure des investissements colossaux dans les biotechnologies, connait-t-on toutes ces plantes, en connait-on les propriétés, savons-nous comment ces écosystèmes fonctionnent, avons-nous tout appris d’eux au point de tout faire disparaitre ? Au-delà de la valeur marchande des lotissements en projet, quelle est la plus-value d’un tel massacre pour la société ?

Par ailleurs,  les attentes des touristes occidentaux et asiatiques d’aujourd’hui et de demain ont-elles bien été comprises ? Le concept plage-villa n’a-t-il pas déjà été à exploité à outrance sur toutes les côtes du pays et de la planète et va-t-il longtemps faire rêver les foules ? Peut-on imaginer conserver l’unicité de l’île pour offrir quelque chose d’unique aux visiteurs des prochaines décennies ? Pour ma part, je ne suis pas certain que des alternatives visionnaires mais durables  s’opposent forcément aux intérêts économiques !

Imaginez le scénario suivant: En 2105, une jeune famille de la ville de  Ho Chi Minh, cité devenue 3 ème centre économique d’Asie du Sud Est,  harrassée par le rythme de travail frénétique et l’atmosphère synthétique des immeubles d’habitation et de bureaux de la ville rénovée, veulent se  payer des vacances uniques. Ils ont déjà écumé les plus beaux resorts de la côte, avec buffets à volonté, jardins magnifiques, piscine à débordement et plages équipées. Mais dans leur entourage, ils ont entendu parler d’un lieu unique, où il serait possible de louer un canoë à la journée, de s’arrêter sur la première plage venue et d’y découvrir des fonds marins fabuleux. Ce serait Phu Quoc.tqnt

8 Comments on “L’unicité d’une île”

  1. Comme tu dis, quand on a vu Marbella, Mui Ne, Agadir, Da Nang… on peut légitimement se demander ce que peut venir chercher un touriste dans ces endroits. Une piscine plus grande, un buffet plus garni, un golf plus vaste que dans le resort des précédentes vacances?
    C’est le formatage publicitaire et cette façon de véhiculer la crainte des contrées sauvages et lointaines qui fait se complaire le tourisme de masse dans ces univers formatés, dont on ne ramènera que des photos convenues à montrer aux amis. Malgré une tristesse sourde d’être baladés en autocar au pas de course dans des sentiers archi-battus, j’ai souvent entendu des touristes en groupe dire « moi je ne pourrais pas aller le nez au vent découvrir le pays ». Les recommandations du ministère de la santé ont bien insisté sur tous les dangers qu’ils courraient à franchir la frontière nationale, le MAE sur les derniers accidents graves survenus dans le coin, et voila qu’ils se retrouvent inquiets à la perspective d’être lâchés en plein Maroc, pays dont l’hospitalité fait rougir de honte en pensant aux moeurs nationales.
    Du coup, on formate le pays pour le touriste inquiet qui, de diversité naturelle locale, ne profitera que du soleil. C’est bien triste, oui.

    Au Nord du VN, il y a Quan Lan qui est vraiment chouette aussi.
    Bises

  2. A propos de diversité animale et végétale, j’ai vu une série de reportages sur Arte qui en disent long: un naturaliste a entrepris une randonnée sur la bande de terre qui séparait l’Allemagne de l’est de celle de l’ouest (donc à l’abri de l’activité humaine pendant de nombreuses années) et tout en marchant il a fait une sorte d’inventaire des espèces présentes: tout bonnement édifiant comme la nature reprend ses droits… ça laisse songeur.

    J’ai aussi pensé à cette côte de la mer noire, fin de mon périple en Bulgarie, sensée être classée mais qui en fait est bétonnée du nord au sud… et plantée de méga hôtels… quasi vides. Le choc après la sérénité des monastères et des petits villages.

  3. C’est vrai qu’on n’a pas trop de leçons à donner. L’intérêt qu’ils trouvent à continuer d’exploiter les combos villa-plage, hotel-plage, plage privée -piscine etc. est purement financier, ils démocratisent simplement l’accès à ce type de séjour touristique, simplement comme ont pu se démocratiser les vacances au ski, le tennis, le ‘trek’, le golf j’en passe et des pas mûres, en d’autres temps … Et effectivement, pour ceux qui en doutaient ( et qui se comptent sur les doigts d’une main) la crise toute récente nous l’a démontré : le financier c’est devenu très court terme (ROI: 3 lettres> droit au but), et c’est devenu exclusif (éthique, humain, durabilité, honnêteté [ne serait-ce qu’intellectuelle] ne sont pas aujourd’hui compatibles avec les $ (surtout dans un pays qui n’a pas encore connu son boom de développement). Comme quoi, il était temps d’aller visiter ce coin de paradis.
    Sinon, comme je suis quand même jeune et naïf, je crois en un certain retour au respect de la faune et la flore, des coutumes et des cultures dans le tourisme puis les services puis peut-être l’industrie, mais quand …?

  4. @Colette: j’ai aussi été en Bulgarie (il y a peut-être une dizaine d’années) et Varna était déjà bien bétonnée, prête à recevoir des avions entiers de gentils touristes bientôt rassasiés par les buffets, Sofia c’était bétonné aussi, mais moins pour le tourisme déjà, et dans le reste de du pays … pas le néant mais pas loin, des charrettes à bœufs..

    Bon, sur ce je donne des nouvelles : je rédige doucement mon mémoire puis serai diplômé de mon école de management et pourrais dire au revoir à la moitié de mes camarades partie pour la finance, pour moi-même me concentrer sur des missions de gains de productivité, enfin, sauf si je m’oriente dans le tourisme (rentable ce secteur !) hum hum ..

  5. Et je tombe sur cette phrase :
    « La seule véritable exploration, la seule vraie fontaine de Jouvence, ne serait pas de visiter des terres étrangères mais de posséder d’autres yeux, de regarder l’univers avec les yeux des autres ».
    Marcel P

  6. Les voyages sur place peuvent, effectivement, dans certaines conditions et prédispositions, contribuer à regarder le monde avec les yeux des autres et d’y trouver source de sagesse et d’apaisement.
    Aller voir ailleurs permet également de voir le monde autrement et de prendre conscience de sa chance mais aussi de sa petitesse. On revient fortifié, plus clairvoyant et avec d’ autres yeux.

  7. (…)comme je suis quand même jeune et naïf, je crois en un certain retour au respect de la faune et la flore, des coutumes et des cultures dans le tourisme puis les services puis peut-être l’industrie, mais quand …?

    Jeune et naïf Jali, toi qui t’apprêtes à aborder une carrière dans les affaires, j’espère que tu ne t’arrêteras pas à cette question, mais que tu deviendras acteur de ces changements.

    La démocratisation du tourisme passe-t-elle par la mise en place de parcs à touristes clos ? Sous prétexte d’offrir aux visiteurs un maximum de services dans un environnement sûr (càd à l’abri des tracas de la réalité d’un pays en voie de développement), on bâtit des murs autours de terrains de 10 ha, restreignant l’accès à la mer des locaux et leur ôtant toute chance de tirer un quelconque bénéfice de la ‘manne du tourisme’ (ne me parlez pas des emplois créés par ces complexes hôteliers, on m’a dit qu’il est impossible de faire travailler les insulaires dans les hôtels, car pas assez éduqués). Le principe d’un resort est simple: tirer un maximum de pognon aux hôtes en gardant l’exclusivité sur leurs dépenses.

    Le débat sur la démocratisation du tourisme rejoint celui de qualité de la télévision: est-il obligatoire de tirer la qualité de programmation d’une chaine TV vers le bas pour attirer l’audience ? À la différence près qu’un programme TV se retravaille chaque année en fonction des modes et de l’audimat. Mais qu’il est bien plus difficile de transformer un gazon anglais en forêt tropicale.

    Alors oui, on pourrait imaginer que les politiques des pays émergents regardent non pas avec envie mais avec un œil critique ce qui a été fait dans les pays industrialisés, qu’il écoutent non seulement les économistes (et leurs propres intérêts) mais aussi les experts des autres disciplines et qu’ils prennent des décisions qui rendraient leur environnement touristique unique.