My Lid-In Le Blog

Pensées, images et fonds de tiroirs

Nicole au coeur de la tourmente

Les derniers typhons qui se sont abattus sur le Vietnam n’ont eu aucune incidence à Saigon. D’ailleurs, comme souvent, nos proches de France en étaient informés avant nous. La saison des pluies s’éternise dans une météo maussade et humide, voilà tout. Par contre Nicole, une amie française qui a posé ses bagages à Hué, a vécu le typhon Ketsana au cœur de la citadelle, où elle habite. Elle nous a fait part de son expérience par email et m’a permis de la retranscrire dans ce billet. Finalement vivre à Saigon a du bon.

«En général, il ne se passe rien d’extraordinaire, à Hué, dans ma vie de tous les jours. J’ai beau être dans un pays que vous pouvez trouver exotique, je fais comme vous, je dors, je mange, je travaille, rien que de plus normal. Ok le décor est très très différent mais les préoccupations humaines restent les mêmes partout.

Pourtant, cette semaine, j’ai vécu quelque chose de très intense : un typhon. Depuis que j’habite ici, je sais qu’il y a une saison des typhons. J’ai même quelquefois dit que j’aimerais bien en vivre un, voir les éléments se déchaîner, etc. Je le disais tout doucement car je sais aussi que c’est un phénomène dévastateur et que des personnes perdent tout, y compris la vie dans ce genre d’aventure. Moi, j’habite en ville dans une maison en béton mais ce n’est pas le cas de tout le monde ici, les cabanes en bambou, tôle, carton font aussi partie du paysage, et même si les gens ici sont habitués et fatalistes, c’est pas une raison pour leur souhaiter une catastrophe…

Et le typhon, on l’a eu et je ne souhaite jamais en revoir. Les éléments déchaînés, c’est excitant mais j’avais oublié aussi les images de dévastation vues à la télé. En réalité, c’est ça et ça fait flipper.

On le savait, tout le monde se préparait depuis dimanche. Ce jour là, je suis allée à la mer et les pêcheurs s’empressaient de remonter leurs bateaux le plus haut possible sur la plage, ils emmenaient leurs énormes tas de filets, ils attachaient tout en prévision de Ketsana. Je n’y suis pas retourné depuis mais j’ai peur de ce que je vais y retrouver.

Lundi il a beaucoup plu et le vent était soutenu, comme ils disent, et plus la journée avançait plus ça tapait. J’ai fini les cours à 17 h 30 et je suis rentrée chez moi vite fait. Le matin, j’avais attaché les stores sur la terrasse, attaché les fenêtres avec du fil de fer et rentré tout ce qui pouvait s’envoler. Le plus gros risque, c’est ça : les objets qui volent. En arrivant chez moi, je me suis aperçue que la force du vent avait cassé le cadenas qui ferme le portail en fer, pas bon signe ! La pluie tombait drue et le vent continuait à forcir, j’ai commencé à drôlement avoir la trouille. Je sentais bien que j’allais avoir du mal à gérer l’histoire toute seule chez moi. Ici, tout le monde sait, qu’il y en a pour 2 ou 3 jours, que l’électricité est coupée et que tous les canaux, rivières, lacs débordent. Comme tout le monde, j’avais fait un stock de bouffe, d’eau, de bougies, de clopes, etc. Mais j’avais la trouille au ventre…

A 20 h 00, j’ai décidé de traverser la ville pour aller chez des potes pendant que je pouvais encore le faire parce que je ne tenais plus. J’ai déboulé chez une copine qui vit en colocation et c’est là qu’on se rend compte que c’est mieux d’être 4 à flipper ! On a passé presque une nuit blanche à écouter le vent devenir de plus en plus violent en se demandant souvent si ça pouvait encore augmenter, oui ça peut ! Il tombait des cordes, les arbres se pliaient dans tous les sens et y’avait un bruit de tôles secouées à chaque nouvelle rafale. En même temps, au milieu de ce vacarme, il y avait aussi un silence anormal : plus de klaxon, de bruits de moteur ou humain, la ville attendait que le typhon passe.

Le lendemain, ça a continué et on savait que l’oeil devait arriver vers 14 h et qu’on resterait dedans jusqu’à 17 h. Le fils des proprios est arrivé et nous a demandé si l’on pouvait accueillir 7 personnes, les étudiantes qui logent derrière la maison et un couple de voisin avec leur petit garçon. Eux, ils n’avaient pas de marche pour accéder chez eux, pas d’étage pour se réfugier et tout baignait déjà. Le rez-de-chaussée s’est transformé en camps de réfugiés.

Ensuite, on a surveillé, angoissé : « Tu crois qu’on est dans l’oeil ? Il paraît que c’est plus calme, et bla bla bla ». Oui, c’est vrai, c’était un peu plus calme au niveau du vent. Il continuait à tomber des trombes d’eau et dans la matinée la rivière en face de la maison est sortie de son lit, elle a envahit la rue, est rentrée dans la cour et a continué sa lente progression. En fait, on a appris que Ketsana avait subitement changé de trajectoire 30 km au large et donc l’oeil de la bête est passé à Da Nang, 100 km au sud d’ici. En fait, pour nous, c’en était fini de Ketsana, nous n’avions plus à redouter la deuxième partie du cercle après le passage de l’œil.

En début de soirée, l’eau est entrée dans la maison charriant la boue du fleuve, divers détritus et bien sûr aussi les égouts, drôle de cocktail ! On a regardé l’eau entrer successivement dans toutes les pièces du rez-de-chaussée et monter tranquillement jusqu’à atteindre environ 15 cm tout en regardant les infos à la télé vietnamienne que le couple avait amenée à la maison. Puis une nouvelle coupure d’électricité sur l’ensemble de la ville s’est éternisée et du coup nous n’avons plus eu d’eau non plus (pb au château d’eau). Ça on l’avait pas prévu… Plus de douche, de châsse d’eau… La pluie s’étant calmée, nos quelques gamelles sur la terrasse ne nous fournissait pas grand chose.

Le lendemain matin, l’eau s’était retirée et avait regagné la rue. Le fils de la proprio a déboulé à 7 h pour « nettoyer » la maison. Il ne faut pas laisser la boue sécher et pénétrer les murs, les meubles ou le sol parce que c’est trop dur à enlever après, donc il faut « délayer » en apportant/jetant de l’eau tout en s’armant de balai pour évacuer tout ça. Le problème c’est que nous n’avions toujours pas d’électricité donc pas d’eau… Qu’à cela ne tienne ! Prenons l’eau dégueu qui stagne encore dans la rue et jetons-la dans la maison… Le but est de délayer, je l’ai déjà dit ! Au bout de deux heures, la maison était « propre » et y’avait plus qu’à attendre que l’eau revienne pour parfaire le nettoyage… Ouf, le soleil revenait pendant que Ketsana continuait son œuvre au Cambodge…

Nous ne pouvions pas sortir pour autant car de l’autre côté du portail y’avait un lac d’eau bouillasseuse. Mais les Vietnamiens adorent patauger dans l’eau juste après les inondations… Alors on a regardé les bandes de jeunes éclater de rire en venant s’enliser devant chez nous à pied ou en vélo. On a vu un paquet de moto rester au milieu une fois que l’eau était entrée dans le pot d’échappement. Un livreur de pains de glace à vélo passer tranquillement à pied avec de l’eau jusqu’à la taille… Moi, il aurait fallu me payer très cher pour aller patauger dans ce cloaque infâme. En plus, on ne sait jamais si on va marcher sur un clou, un tesson de bouteille, merci bien. Y’a une copine d’ici qui a fini à l’hôpital de Saïgon il y a quelques années avec un début de gangrène après avoir pataugé en rigolant avec ses potes vietnamiens après une inondation…

Le lendemain matin, l’eau avait regagné son lit, les tractos étaient passés vite fait pour enlever la boue et la route était « pratiquable ». J’ai pu regagner ma maison qui avait aussi été inondée… ! Heureusement Hoan, mon amoureux qui avait trop tardé à rentrer le lundi soir provoquant mon départ, complètement paniqué. Il était dans la maison pendant tout ce temps et le pauvre il s’est cogné le nettoyage tout seul…

Maintenant, c’est du passé et on laisse les maisons le plus possible ouvertes pour faire sécher tout ça…. Je pense que la prochaine fois (j’espère pas mais bon….) je resterai chez moi car, en fait, cette peur était ingérable parce que je ne savais pas à quoi m’attendre…»
Nicole

4 Comments on “Nicole au coeur de la tourmente”

  1. Émouvant témoignage. Je n’ai jamais vécu ça et j’espère en rester loin, pourtant je suis curieux. Je connais des gens à Hué à qui je voulais demander des nouvelles, mais ne connaissant pas leurs mails, je n’ai pas pu ; avec ce récit je me fais une meilleure idée.
    Merci à Nicole d’avoir si bien écrit son expérience.

    et je retiendrai cette phrase qui selon moi illustre bien la manière d’être des vietnamiens :
    « Mais les Vietnamiens adorent patauger dans l’eau juste après les inondations… Alors on a regardé les bandes de jeunes éclater de rire en venant s’enliser devant chez nous à pied ou en vélo. »

  2. Merci à Nicole pour ce récit poignant et aussi à toi pour avoir eu l’idée de nous le faire partager…

  3. ce récit (bien écrit) m’a rappelé deux souvenirs. Ce que j’ai vécu au Sri Lanka le jour du tsunami et la mousson de 1994 à Hanoi particulièrement forte cette année là !

    Mes enfants sont Vietnamiens et j’ai un très fort attachement pour ce pays.